Retour à la Galerie

L’Humanité parodiée dans les marges des manuscrits

Singe attablé et son domestique (avant 1390)
Pontifical de Guillaume Durand (Paris, Bi... Afficher la suite de la légende

Singe attablé et son domestique (avant 1390)
Pontifical de Guillaume Durand (Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 143, fol. 172v © Bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris, cliché IRHT)

Chevalier effrayé par un escargot (vers 1280-1290)
Horae ad usum Morinensem (Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. lat. 14284, fol. 15v - Photographie BnF-Mandragore)


Renart célébrant la messe (vers 1280)
Bréviaire à l'usage du Saint-Sépulcre de Cambrai (Cambrai, Bibliothèque municipale, ms. 103, fol. C113, cliché CNRS-IRHT)


Lapin attaquant un homme (vers 1302-1305)
Bréviaire de Renaud de Bar (Verdun, BM, ms. 107, fol. 96v - Photographie Jean-Marie Perraux)

Parcours standardParcours jeunes
Parcours standard

À partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, un nouveau décor se met en place dans les marges des manuscrits liturgiques, juridiques, dévotionnels et profanes. Des motifs très variés se déplacent des initiales à la bordure et encadrent progressivement le texte. Le genre des marginalia se diffuse rapidement dans les centres urbains du nord de la France, du sud de l’Angleterre et des Flandres. Le répertoire est très riche : amour courtois, loisirs aristocratiques, jongleurs, musique et danse, vie religieuse, scènes tirées de la littérature. Une grande partie procède du comique et de la satire : activités condamnées par l’Église, animaux parodiant les hommes, scènes absurdes, parfois obscènes. La marge devient le lieu du désordre, rejeté à la périphérie de la page et opposé à l’espace ordonné du texte.

Les marges sont peuplées d’animaux : domestiques, sauvages, lointains, certains hybrides. Ils sont représentés dans des scènes conformes à la réalité, comme dans les scènes de chasse, ou bien se substituant aux hommes. Roi, prêtre, médecin, noble au tournoi, acrobate, musicien, les animaux n’hésitent pas à remplacer et à imiter les hommes, en se retournant parfois contre eux, à l’image de l’escargot terrifiant un chevalier. La métaphore de la chasse amoureuse est également renversée par un lapin qui attaque un homme.

L’ordre a une valeur très forte au Moyen Âge. Les hommes et les animaux sont deux catégories diamétralement opposées car l’homme a été créé à l’image de Dieu et une hiérarchie s’est établie après qu’Adam a nommé les animaux. Le renversement des rôles est donc transgressif et souligne la part animale de l’homme ainsi que ses défauts, tels qu’ils sont prêtés aux animaux dans les bestiaires.

Le singe imite tout ce qu’il voit faire, c’est pour cette raison qu’il est considéré comme proche de l’homme. Figure de l’ignorant et du pécheur, on le trouve dans des parodies de l’enseignement, du combat et dans divers loisirs nobles mais plus souvent dans des scènes obscènes. Il est l’image des mauvaises dispositions morales de l’homme et questionne la validité des activités humaines en les singeant comme ce primate gras qui festoie en présence de son domestique.

Au XIIIe siècle, l’essor de la culture laïque entraîne celui des épopées animales où les animaux deviennent le signe des vices humains liés au corps car les bêtes agissent non pas en fonction de la raison mais de leurs instincts. Le plus célèbre des sournois, le rusé goupil Renart intervient dans de nombreux manuscrits peu après la mise à l’écrit du Roman. De nombreuses activités sont la cible des parodies de Renart dans les marges, notamment le rite chrétien comme lorsqu’il célèbre la messe avec un coq en guise d’hostie dans un bréviaire.

D’autres animaux ridiculisent le pouvoir des hommes dans les marges en stigmatisant les mauvais comportements. Par l’écart à l’ordre, les marginalia provoquent le rire qui n’est jamais innocent. Leur emplacement à la périphérie du texte souligne leur distance par rapport à l’ordre et invite à la moralisation.

À partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, un nouveau décor se met en place dans les marges des manuscrits. Des motifs très variés encadrent progressivement le texte : amour courtois, loisirs aristocratiques, jongleries, musique et danse, vie religieuse, scènes tirées de la littérature. Une grande partie des images appartient au comique et à la critique : activités condamnées par l’Église, animaux imitant les hommes, scènes absurdes, parfois obscènes. La marge du texte (lieu d’expression du désordre) est opposée à la page où le texte est ordonné.

Au XIIIe siècle, avec l’amplification de la culture laïque le nombre d’épopées* animales s’accroît. Les animaux symbolisent les défauts humains, notamment ceux liés au corps. Les hommes et les animaux sont opposés puisque l’homme a été créé à l’image de Dieu. Le renversement des rôles est donc contraire à l’ordre divin.

Les marges sont peuplées d’animaux : domestiques, sauvages, lointains, certains hybrides*. Représentés comme dans la réalité (dans des scènes de chasse par exemple), les animaux n’hésitent pas à remplacer et à imiter les hommes (au tournoi, acrobate, prêtre, médecin, noble), en se retournant parfois contre eux, comme cet escargot terrifiant un chevalier.

Le singe est l’image des mauvaises dispositions morales de l’homme : il est la figure de l’ignorant et du pécheur. On le trouve dans des parodies de l’enseignement et de la lecture, et dans divers loisirs nobles.

Au moment de l’écriture du Roman de Renart, certains épisodes mettant en scène le rusé goupil* figurent dans de nombreux manuscrits. Le clergé et le rite chrétien sont souvent la cible de Renart dans les pages du Roman, comme dans ses marges.

Hybride : être mi-homme mi-animal ou ayant des caractéristiques de plusieurs animaux différents

Epopée : long poème qui raconte les exploits d’un héros

Goupil : renard

Lucie Blanchard

Bibliographie :

Baltrušaitis (Jurgis), Réveils et prodiges, Paris, Flammarion, 1988 (1ère édit. 1960) (« Idées et Recherches »)
 
Bartholeyns (Gil), Dittmar (Pierre-Olivier), Jolivet (Vincent), Image et transgression au Moyen Âge, Paris, Presses Universitaires de France, 2008
 
Berlioz (Jacques), Polo de Beaulieu (Marie-Anne) (éd.), L’animal exemplaire au Moyen Âge (ve-xve siècle), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1999 (« Histoire »)
 
Camille (Michael), Images dans les marges. Aux limites de l’art médiéval, Paris, Gallimard, 1997
 
Duchet-Suchaux (Gaston), Pastoureau (Michel), Le bestiaire médiéval. Dictionnaire historique et bibliographique, Paris, Le Léopard d’Or, 2002
 
Clouzot (Martine), « La musique des marges. L’iconographie des animaux et des êtres hybrides musiciens dans les manuscrits enluminés du xiie au xive siècle », dans Cahiers de Civilisation Médiévale, t. 42, octobre-décembre 1999, p. 323-342
 
Engammare (Isabelle), « Homme ou animal ? L’hybride dans le livre gothique », dans Hommeanimal : histoires d'un face à face (Strasbourg, Musée archéologique ; galerie Heitz ; Musée de l'Oeuvre Notre-Dame ; Musée d'Art moderne et contemporain, 7 avril-4 juillet 2004 2004), Strasbourg, Musées de Strasbourg ; Paris, Adam Biro, 2004, p. 83-93
 
Le Goff (Jacques), Truong (Nicolas), Une histoire du corps au Moyen Âge, Paris, Liana Levi, 2003 (« Piccolo »)
 
Moyen Âge entre ordre et désordre (Paris, Musée de la musique, 26 mars-27 juin 2004), Paris, RMN, 2004
 
Randall (Lilian), Images in the margins of gothic manuscripts, Berkeley and Los Angeles, University of California Press, 1966
 
Sandler (Lucy Freeman), « Reflections on the Construction of Hybrids in English Gothic Marginal Illustration », dans Art the Ape of Nature. Studies in honor of H. W. Janson édité par M. Barasch, L. F. Sandler et P. Egan, New York, Harry N. Abrams Inc., 1981, p. 51-65.
 
Wirth (Jean) (dir.), Les marges à drôleries des manuscrits gothiques (1250-1350), Genève, Librairie Droz, 2008 (« Matériaux pour l’histoire, 7, publiés par l’École des chartes &