Jonas dans un livre d'heures imprimé de 1497
Horae ad usum Xanton... Afficher la suite de la légende
Jonas dans un livre d'heures imprimé de 1497
Horae ad usum Xantonensem. - Paris, Jean Philippe pour Jacques Bezanceau à Poitiers, 1497 (Poitiers, Médiathèque François-Mitterrand, D INC 27(133), fol. BVIII - Photographie Olivier Neuillé)
Dans cet incunable de 1497, conformément à une lecture typologique très ancienne, Jonas lancé dans la gueule de la baleine et Joseph jeté dans le puits par ses frères accompagnent la Mise au tombeau.
Une baleine dans l’Apparatus biblicus de Bernard Lamy
Introduction à l'écriture Sainte… / Bernard Lamy. - Lyon : Jean Certe, 1699 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, M 7580)
L’iconographie de cette baleine accompagnée de deux baleineaux est empruntée à Conrad Gesner qui rappelle que, depuis Aristote, on sait que les baleines allaitent leurs petits.
Une baleine dans le Traité des monstres et des prodiges d'Ambroise Paré
Oeuvres / Ambroise Paré ... - Paris : Gabriel Buon, 1585 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, Méd. 22)
Dans le Traité des monstres et des prodiges, Ambroise Paré écrit qu’il n’est pas exagéré d’utiliser le terme de monstre pour la baleine.
Jonas dans une Bible médiévale
Bible (Poitiers, Médiathèque François-Mitterrand, ms. 12(258), fol. 373v - Photographie Olivier Neuillé)
Dans cette Bible du XIIIe siècle, Jonas est représenté dans la gueule de la baleine, sous la ville de Ninive qu’il doit convertir. La gueule du monstre marin est pourvue de quelques dents, mais celles-ci sont peu menaçantes.
La baleine vulgaire dans le Traité sur les poissons de Guillaume Rondelet
L’Histoire entière des poissons… / Guillaume Rondelet. – Lyon : Macé Bonhome, 1558 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVI 315)
Guillaume Rondelet propose une très bonne iconographie originale car il observe les animaux lui-même et de manière plus attentive que d'autres, Gessner par exemple. Il présente environ 300 poissons. Il les classe selon leur forme ou leur milieu de vie. Guillaume Rondelet rapporte que les cétacés sont, selon Aristote, des poissons très grands ; mais il souligne que les latins ont appelé les plus grandes belues ou bêtes marines. Il précise également que les pêcheurs utilisent le terme baleine pour tous les gros poissons.
Jonas jeté dans la gueule de la baleine
Biblia sacra cum glossa ordinaria… Tomas quartus. – Douai : Balthazar Bellère, 1617 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, Folio 805-4)
Dans cette édition moderne d’un commentaire médiéval du livre biblique de Jonas, le petit prophète est représenté sur le point d’être jeté à l’eau par des marins, conformément à une iconographie qui, après une période d’effacement, connaît un certain succès au XVe siècle. La baleine a deux évents, comme tout cétacé, selon une tradition qui remonte à l’Antiquité. Comme dans les représentations médiévales, le monstre marin a un corps de poisson (écailles) et une tête agressive, munie de dents.
Une mer emplie de monstres dans la Cosomographie de Thévet
La Cosmographie universelle… / André Thévet. – Paris : Guillaume Chaudière, 1575 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVIg 1775)
La mer est représentée habitée par de nombreux monstres marins, conformément à l’idée que l’on se faisait de l’étendue marine au seuil de l’époque moderne : certains ont des dents acérées, d’autres un corps de reptile, d’autres encore ont la tête pourvue d’une corne menaçante.
Jonas jeté dans la gueule de la baleine et Jonas rejeté par la baleine
Biblia sacra… - Lyon : Jean de Tournes, 1556 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVIg 1341)
Dans cette Bible, Jonas est représenté sur le point d’être jeté à l’eau par des marins, puis rejeté sur le rivage par la bête. Comme au Moyen Âge, le monstre marin a un corps de poisson (écailles) et une tête agressive, munie de dents. Il a deux évents car les cétacés, depuis Pline au moins, sont réputés en avoir deux ; cette particularité n’apparaissait pas sur les représentations médiévales de la bête qui avale Jonas : celle-ci n’avait pas d’évent, sauf à la fin du Moyen Âge, où elle en a parfois un.
Alors que pour tous aujourd’hui le petit prophète a été englouti par une baleine, les représentations médiévales le montrent dans la gueule d’un gros poisson, souvent menaçant. Pourquoi ?
Selon le texte latin médiéval de la Bible, Jonas n’est pas avalé par une baleine
La Bible mentionne deux fois l'animal qui avale Jonas. Dans le texte en latin, il est appelé piscis grandis, le grand poisson, ou cetus, qui peut être traduit par gros poisson de mer ou monstre marin. Le terme de balena, baleine, lui, n'apparaît pas. Il en est de même dans les textes religieux rédigés en latin. En revanche, saint Augustin, puis, au VIe siècle, Isidore de Séville et ceux qui s’en inspirent, comme Raban Maur, semblent voir la bête qui avale Jonas comme une baleine. À partir du XIe siècle, les textes profanes, puis religieux, en français, en allemand ou en anglais, utilisent de manière de plus en plus courante le terme de baleine, de Wal ou de whale quand ils évoquent le séjour du petit prophète Jonas dans le monstre marin.
Il faut donc attendre la fin du Moyen Âge pour que se répande vraiment l’idée que la bête qui avale Jonas est une baleine.
Un animal bien souvent menaçant
Du début du Moyen Âge au seuil du XVIe siècle, les représentations figurées du petit prophète montrent le plus souvent un animal, dont le corps, quand il est représenté, a des caractéristiques de poissons (ouïes, queue bifide, nageoires ou écailles), tandis que la tête porte poils et dents proéminentes.
Pourquoi cette bête est-elle terrifiante ? Est-ce parce que la mer faisait peur et qu’elle était réputée abriter des monstres marins redoutables ? C’est probable, et ce jusqu’au XVIe siècle. Est-ce pour donner à la représentation de la baleine un sens particulier ? De nombreux auteurs la comparent en effet à la mort, à l'Enfer ou aux Limbes ; plus elle est repoussante, plus le fait que Jonas en sorte indemne est remarquable : ceci entretient la foi en la Résurrection du Christ, que Jonas préfigure dans une perspective typologique (selon laquelle le Nouveau testament est annoncé par l’Ancien). Pourquoi la bête ne ressemble-t-elle pas à une baleine avant la fin du Moyen Âge ? Est-ce parce que l’animal qui engloutit Jonas n’était pas considéré comme telle par le plus grand nombre ? C’est une hypothèse fondée jusqu’au XIIe siècle, puisqu’on parle à son sujet surtout de grand poisson, mais ensuite… Est-ce parce que la baleine était mal connue ? C’est possible car elle évoluait loin des côtes ; cependant, elle aurait pu être reproduite à partir des quelques bêtes échouées sur les plages : des représentations fidèles à la réalité d’animaux méconnus, vivant dans des contrées lointaines, circulaient. Il est possible que ce soit également par manque de goût pour l’observation, qui n’est avant la Renaissance pas utilisée pour accéder au vrai.
À la fin du Moyen Âge, la situation change mais, durant la première partie du XVIe siècle, la science est encore très marquée par les savoirs de l’Antiquité, qui prévalent sur l’observation.
Alors que pour tous aujourd’hui le petit prophète a été englouti par une baleine, les représentations médiévales le montrent dans la gueule d’un gros poisson, souvent menaçant. Pourquoi ?
Selon le texte latin médiéval de la Bible, Jonas n’est pas avalé par une baleine
La Bible mentionne deux fois l'animal qui avale Jonas. Dans le texte en latin, il est appelé piscis grandis, « le grand poisson », ou cetus, qui peut être traduit par « gros poisson de mer » ou « monstre marin ». Le terme de balena, « baleine », lui, n'apparaît pas. En revanche, à partir du VIe siècle, certains voient la bête qui avale Jonas comme une baleine. Puis à partir du XIe siècle, les textes en français, en allemand ou en anglais, utilisent de plus en plus souvent le terme de « baleine », de « Wal » ou de « whale » quand ils évoquent le séjour du petit prophète Jonas dans le monstre marin.
Il faut donc attendre la fin du Moyen Âge pour que se répande vraiment l’idée que la bête qui avale Jonas est une baleine.
Un animal bien souvent menaçant
Du début du Moyen Âge au seuil du XVIe siècle, les représentations figurées de cet épisode montrent le plus souvent un animal dont le corps a des caractéristiques de poissons (ouïes, queue bifide, nageoires ou écailles), tandis que la tête porte des poils et de grandes dents. Pourquoi cette bête est-elle terrifiante ? Jusqu’au XVIe siècle, la mer faisait si peur qu’elle était réputée abriter des monstres marins redoutables. De plus, la représentation de la baleine pouvait avoir des significations particulières : de nombreux auteurs la comparent à la mort, à l'Enfer ou aux Limbes. Plus elle est repoussante, plus le fait que Jonas en sorte indemne est remarquable, ce qui renforce encore la foi en la résurrection.
Pourquoi la bête ne ressemble-t-elle pas à une baleine avant la fin du Moyen Âge ? Jusqu’au XIIe siècle, on parle à son sujet surtout de grand poisson, mais ensuite… La baleine était mal connue car elle évoluait loin des côtes même si quelques bêtes s’échouaient sur les plages. Il est possible aussi que ce soit également par manque de goût pour l’observation.
Anne-Sophie Traineau-Durozoy
Bibliographie :
Cambier (Hélène), Cetus, Lacovie, Aspidochelone ? La Baleine au Moyen Âge. Traditions textuelles et iconographiques, Mémoire de maîtrise présenté sous la direction de J. Leclercq-Marx, Université Libre de Bruxelles, 2009
Coulter (Cornelia Catlin), « The great fish in ancient and medieval story », dans Transactions and proceedings of the american philological association, t. 57, 1926, p. 34-50
Delort (Robert), Les animaux ont une histoire, Paris, Le Seuil, 1984
Durozoy (Anne-Sophie), Le petit prophète Jonas dans l’Occident médiéval : étude iconographique, thèse de doctorat sous la direction de Michel pastoureau, EPHE, 2011
Durozoy (Anne-Sophie), « Représentations et significations médiévales du monstre marin accompagnant Jonas », dans Graphè, t. 19, 2010
Moulinier (Laurence), « Les baleines d’Albert le Grand », dans Médiévales, t. 22-23, 1992, p. 117-128
Tucci (Hannelore Zug), « Il mondo medievale dei pesci tra realtà e immaginazione », dans Settimane di studio del centro italiano di studi sull’alto medioevo. XXXI. L’uomo di fronte al mundo animale nell’alto medioevo, 7-13 aprile 1983, t. 1, 1985, p. 291-360