Animal & Identité

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Les Animaux emblématiques,
« victimes collatérales » de la guerre de signe

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Les emblèmes retenus par les princes de la fin du Moyen Âge, leurs devises, puisent dans une multitude de registres figuratifs et symboliques : plantes, animaux, outils, histoire sainte, bestiaires, croyances populaires. Les animaux y occupent pourtant une place de choix, en particulier ceux qui n’avaient pas été retenus dans le Blason pour des raisons symboliques, sociales ou esthétiques. Entre le début du XVe siècle et celui du siècle suivant, ces emblèmes servent d’outil de pouvoir et de représentation et jouent un rôle prépondérant dans ce que l’on qualifierait aujourd’hui de « communication politique ». Les animaux emblématiques, véritables abstractions de leurs utilisateurs, deviennent donc les supports et les cibles des luttes politiques qui enflamment alors les royaumes d’Europe agités par la difficile genèse des Etats-Nations.

Parmi les multiples exemples, citons la forme animalière de la Guerre Armagnac-Bourguignons qui ravage la France des années 1405-1430. Louis d’Orléans, le frère du roi Charles VI, a retenu pour devise l’emblème du loup associé au mot IL EST, sans doute en raison de l’homophonie entre Loup et Louis, à moins qu’il ne s’agisse d’agacer son oncle Philippe le Hardi, le trop puissant duc de Bourgogne qui a choisi la délicate brebis comme emblème ? Ce choix n’est d’ailleurs pas très judicieux quand on sait l’image négative du loup à cette l’époque. Pour souligner qu’il prend à son compte la bonne part du canidé, Louis d’Orléans lui ajoute un collier muni d’une cloche : il est la sauvagerie domestiquée ! Ces subtilités de cour prennent un autre ton quand Jean, dit « Sans Peur », succède à Philippe en 1404. Le conflit entre les cousins aboutit à l’assassinat de Louis dont Jean se justifie publiquement par la voix de ses clercs et le pinceau de ses peintres. Placardée partout dans Paris, une affiche montre le loup, tentant de ravir la couronne, meurtri par le lion qui veille sur le royaume. Dans les mois qui suivent, Jean sans Peur organise de grandes chasses aux loups dans les bois de Vincennes et encourage les rédactions de Pastorales dans lesquelles le bon berger, alias le duc de Bourgogne, veille sur le troupeau de France menacé par les loups.

Le petit-fils de Louis, duc d’Orléans et bientôt roi sous le titre de Louis XII, reprend à son compte l’emblématique de son grand-père. Il remploie bien sûr le loup de Louis qui devient pour lui l’attribut du dieu Mars. Mais il utilise également l’autre grande devise des Orléans : le porc-épic. La capacité de celui-ci à projeter ses épines sur ses ennemis en fait la panacée des emblèmes politiques. Les ennemis de l’animal sont nombreux en ce tournant du XVIe siècle. Il y a par exemple la guivre des Visconti dont on ne sait si on doit l’aimer ou la haïr comme le rappelle le sceau du duc d’Orléans. Il y a l’aigle de l’empire et le lion bourguignon, il y a bientôt aussi la salamandre du successeur malvenu, l’ambitieux François d’Angoulême et futur François Ier.

Laurent Hablot