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Reconstitution d'un casque de parade réalisé pour Charles VI vers 1389 et retrouvé en fragments dans le puits du Louvre en 1982
L'emblématique de Charles VI vers 1390 sur les vitraux de la cathédrale d'Évreux : armoiries couronnées, genêt, cerf volant, mot EN BIEN et lettre K (Carolus)
En 1382, le tout jeune Charles VI part en guerre contre les Flamands révoltés. Pour illustrer sa campagne militaire, le roi se choisit un nouvel emblème - on parle alors de devise – un cerf, colleté d’une couronne et muni d’ailes, prenant son essor vers les cieux. Il lui adjoint une sentence ou mot : EN BIEN. Cette figure, royale et christologique, n’est pas choisie au hasard.
Depuis les Mérovingiens, le cervidé est le messager envoyé par le ciel pour soutenir les rois francs en difficulté tels Clovis, Dagobert, Charlemagne ou Philippe le Bel. À cette époque en effet, le cerf, « beste de droite noblesse et gentillesse… », est symboliquement associé à la plus noble des chasses comme le rappellent les traités de vénerie de Gaston Phoebus et de Hardouin de Fontaine-Guérin. Le phénomène inexpliqué de la chute et de la repousse des bois du cerf avait contribué à en faire un symbole de renaissance cyclique d’abord associé au dieu celte Cernunnos puis à la résurrection du Christ. En unissant le cerf à l’eau purificatrice le Psalmiste avait contribué à cette interprétation. Elle fut relayée par les bestiaires, notamment le Traité du roi Modus et de la reine Ratio, traité de chasse allégorique et condensé de bestiaires, rédigé par Henri de Ferrières en 1377. Ces textes font du cerf l’ennemi juré du serpent. Obligeant celui-ci à sortir de son trou en y soufflant de l’eau, le cerf l’avale dès qu’il paraît. Il s’empoisonne ainsi d’une soif inextinguible qu’il va assouvir à la fontaine, se régénérant par ce moyen, à l’image de la résurrection du Christ. Dans ses œuvres, le poète de cour Eustache Deschamps y fait clairement allusion en évoquant les trente-deux ans qu’aura le cerf volant quand il parviendra à la domination universelle. Charles VI, né en 1368, atteindra cet âge en 1400, date eschatologique évoquée par Pierre d’Ailly et saint Vincent Ferrier. Les ailes dont est doté le cerf de Charles VI permettent encore de souligner son lien avec le monde divin à l’instar des anges instaurés comme supports des armes royales par Charles V. Cette figure entre d’ailleurs en concurrence avec les emblèmes des souverains anglais qui, depuis quelques décennies, avaient également retenu cette figure royale et christique sous les traits d’un cerf couché et enchaîné.
Le choix de Charles VI est donc un véritable manifeste social, politique et spirituel. En pleine lutte contre des révoltes populaires antifiscales en France et en Flandre, préparant une série de campagnes militaires anti-anglaises, soucieux de rappeler aux nobles leurs devoirs chevaleresques, le roi s’affiche aussi comme un souverain chrétien, nouveau Charlemagne des temps derniers, élu par Dieu pour conduire son peuple au Salut. Dès 1390 pourtant, pour des raisons difficiles à saisir, le roi change d’emblème.
Oublié pendant près de quarante ans, le cerf volant connaît un nouvel essor sous le règne de Charles VII qui en fait l’outil de sa légitimité et le signe des fidélités ralliées.
Sous le règne de Louis XI, le cerf ailé devient l’emblème de la fidèle maison de Bourbon. Il sera abondamment utilisé par Pierre de Beaujeu et ses descendants. L’héritier de cette branche cadette, le connétable Charles II de Bourbon, lésé par François Ier dans son héritage, en vient pourtant à trahir son roi et son royaume en 1523. La célèbre devise devient alors le symbole honni du renégat et l’objet, comme l’ensemble des figurations de ses armoiries, d’une véritable « damnatio memoriae ».
Laurent Hablot