La tortue et l’aigle
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La tortue et l’aigle
Aesopische Fabeln für die Jugend… - Prague, Leipzig : M. Neureuter, 1803 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, 70443)
L'aigle, présent dans la mythologie de nombreuses civilisations, est universellement considéré comme un symbole céleste et solaire, du fait de sa capacité à s'élever au-dessus des nuages et de la condition humaine. Représentant la beauté, la force, le courage et le prestige, il est le roi des oiseaux et le messager des plus grands dieux, voire leur incarnation, comme dans la mythologie grecque où il est associé à Zeus. Pour les Aztèques, il représente la course du soleil grâce à sa capacité à fixer le soleil sans se brûler les yeux. En Chine, l'art martial de l'aigle représente l'audace et la majesté. L’aigle est également le symbole primitif du père. Dans la Bible, il est associé à l'évangile de saint Jean et, au Moyen Âge, il est identifié au Christ et représente l'Ascension, ainsi que la Royauté combattant le mal. Les Romains en ont fait un symbole de victoire et un emblème impérial, repris par Napoléon.
Cependant, comme tout symbole, il possède un côté sombre, un aspect maléfique : il devient le rapace cruel, le ravisseur, représentant l'orgueil, l'oppression et la perversion. C'est l'exagération de sa puissance, de sa démesure. C'est souvent la femelle qui se charge de véhiculer cette symbolique.
Dans les fables d'Ésope mettant en scène des aigles, et reprises pour certaines par La Fontaine, on peut distinguer nettement le mâle et la femelle. Le mâle est toujours représenté digne et majestueux. Par exemple dans la fable « L'Aigle, le choucas et le berger », les deux premiers vers sont :
Un aigle fondant d'une roche élevée, enleva un agneau.
A cette vue, un choucas, pris d'émulation, voulut l'imiter.
Ces deux vers montrent la beauté et la magnificence de l'aigle, que d'autres veulent imiter. Il en va de même pour la fable « Le Laboureur et l'aigle » où un aigle sauvé par un laboureur le sauve à son tour pour rembourser sa dette : elle révèle toute sa dignité.
L’aigle peut aussi être représenté de manière tragique ou pathétique, comme dans la fable « L'Aigle frappé d'une flèche », qui met en scène la mort d'un aigle provoquée par une flèche munie de plumes d'aigle : la morale de cette fable est qu'il est toujours plus douloureux d'être battu avec ses propres armes.
C'est la femelle qui présente l’aspect prédateur et rapace de l'animal et ses mauvaises actions, toujours punies. La fable « L'Aigle et l'escarbot » (une espèce de scarabée), reprise par La Fontaine au XVIIe siècle, nous offre un excellent exemple de cette face sombre : une aigle chassant un lièvre le tue alors qu’il s’était réfugié auprès d'un escarbot, ce dernier suppliant la chasseuse d'épargner son ami. N'étant pas pris au sérieux, l'escarbot décide de venger le lièvre et tue chaque année les aiglons, même quand l'aigle va quérir la protection de Zeus. La morale est que tout acte mauvais est condamné et qu'il ne faut pas mépriser plus petit que soit.
L'animal de Zeus présente donc deux faces, l'une étant l'exagération de l'autre : la grandeur peut devenir orgueil et ainsi ce qui était bon et beau devient un défaut. L'aigle peut être considéré comme une représentation de la pensée grecque qui condamne l'excès et l'hubris, c'est à dire la démesure. Ceux qui savent rester à leur place et vivre dignement, en conformité avec leur statut supérieur, sont représentés par l'aigle mâle, tandis que l'aigle femelle représente ceux qui n'en sont pas capables et cherchent à s'élever au niveau des dieux.
Floriane Roy